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Les risques de la réduction embryonnaire:La technique de réduction embryonnaire a été décrite en 1986 et elle fait désormais partie de l?arsenal thérapeutique de l?infertilité, bien que l?ensemble de ses conséquences soient encore en cours d?évaluation.
Le travail collaboratif international sur la réduction embryonnaire porte sur 750 patientes ayant eu une réduction à 2 embryons par voie transabdominale. 5,2% des enfants sont nés entre 25 et 28 semaines, 9,9% entre 29 et 32 semaines et 39,7% entre 33 et 36 semaines et 45,2% au delà de 37 semaines. Les résultats de la technique transvaginale sont identiques et on peut dire que dans toutes ces grandes séries, 84% des grossesses ont atteint un âge gestationnel = à 33 semaines à la naissance.
Le taux de fausses couches complètes après réduction embryonnaire est fonction de la technique utilisée, du nombre d?embryons initial et final et de l?expérience de l?opérateur. Le taux moyen retrouvé dans la littérature est de 8 à 9%. Il faut rappeler qu?on observe 27% d?avortement spontané avant 20 semaines dans les grossesses conçues en FIV. Bien qu?une partie des pertes f?tales après réduction embryonnaire soit liée à l?histoire naturelle des grossesses multiples, il n?en reste pas moins qu?il s?agit d?un geste invasif qui, à ce titre, peut rendre compte de certains avortements. En effet, les pertes f?tales diminuent avec l?expérience des opérateurs dans les publications internationales sur ce sujet. Il est bien sûr impossible actuellement de chiffrer dans les pertes f?tales la part qui revient à la technique et celle qui revient au contexte.
Dans la série de réductions embryonnaires du Mount Sinaï Hospital portant sur 400 patientes, 368 ont accouché au-delà de 24 semaines. L?âge gestationnel moyen à la naissance a été de 35,4 semaines et 88% des patientes ont accouché au delà de 32 semaines. Sur les 179 patientes qui avaient des grossesses triples et qui ont eu une réduction à 2 ou à 1, l?âge gestationnel moyen à la naissance a été de 35,9 semaines, 102 (57%) ont accouché au-delà de 36 semaines, 63 (35%) entre 32 et 36 semaines, 10 (6%) entre 28 et 32 semaines, et 4 (2%) entre 24 et 28 semaines. Ces résultats d?âge gestationnel à la naissance sont meilleurs que ceux observés au cours de l?histoire naturelle des grossesses triples. Cependant, il n?est pas certain qu?ils se traduisent par une amélioration du pronostic néonatal.
La littérature internationale n?est pas riche en comparaison sur ce point. En effet, il y a 4 publications (dont 3 comportent un nombre suffisant de cas) qui comparent les pronostics néonatals des grossesses triples réduites versus abstention. Ces 3 publications montrent toutes une augmentation du poids de naissance et de l?âge gestationnel à la naissance pour les grossesses réduites. Deux de ces publications montrent une diminution des pertes totales de grossesses avant 24 semaines et les 3 montrent une diminution du nombre d?accouchements avant 32 semaines. Il y a une réduction de la mortalité périnatale, des complications respiratoires néonatales et des hémorragies intraventriculaires dans le groupe avec réduction embryonnaire.
Ces résultats montrent donc une légère réduction de la mortalité périnatale et de la morbidité périnatale immédiate, mais la modification des pronostics à long terme des survivants n?est pas prouvée. Ces résultats, bien qu?incomplets, peuvent fournir une base pour l?information des couples et constituent un argument pour continuer de proposer l?alternative de la réduction embryonnaire dans le cadre des grossesses triples.
Complications sociales et familiales des grossesses multiples
Les évaluations pronostiques ne sont pas les seules à prendre en compte, car les considérations familiales sur le vécu et les conséquences des grossesses triples sont indiscutables. Plusieurs études sur ce sujet montrent toutes qu?il est difficile pour une mère de satisfaire aux besoins souvent simultanés de 3 enfants. La relation mère-enfant se trouve souvent perturbée à la suite d?une telle naissance.
Les difficultés domestiques ont de réelles conséquences psychologiques qui aggravent les effets de la fatigue et du stress. Les aides maternelles et celle des pères sont généralement trop courtes.
A cela s?ajoute l?isolation sociale due aux difficultés matérielles de se déplacer qui est renforcée par les questions de l?entourage sur les raisons de cette grossesse multiple. Ceci accroît encore le "sentiment d?anomalie" souvent ressenti dans ce contexte.
L?exaspération, voire l?hostilité à l?égard de ces enfants est souvent décrite et elle est délétère pour la relation mère-enfant. Le fait de ne pas trouver de plaisir dans la relation avec les enfants se traduit souvent par une sorte de détachement.
Il faudrait trouver des solutions pour que la mère puisse passer du temps seule à seul avec chaque enfant sans pour autant que les autres ne se sentent frustrés. Le fait de ne pas se sentir heureuse et comblée après une grossesse si désirée provoque un sentiment de frustration et de culpabilité.
Le point le plus sensible est le sort de la relation conjugale qui est gravement mise a partie après un tel événement. Après avoir vécu de nombreuses années ensemble sans enfant, l?accroissement brutal de la famille est difficile à vivre pour le couple. Ceci est attesté par un nombre de divorces important dans l?année qui suit la naissance ainsi que par un fort pourcentage de patientes qui nécessitent un traitement psychothérapeutique dans l?année qui suit la naissance (25%).
Ceci rejoint des observations faites sur les mères de jumeaux qui signalaient un taux 3 fois plus élevé de dépressions, 5 ans après la naissance, par rapport à ce qu?on observe chez les mères d?enfant unique. Les mères elles-mêmes disent que leur situation ne peut être comprise de l?extérieur.
Considérations éthiques sur la réduction embryonnaireLes considérations éthiques et les enjeux s?énoncent différemment selon que l?on considère les grossesses d?un rang supérieur à la grossesse triple, les grossesses triples ou les gémellaires:
1) La justification médicale pour les grossesses > 3 rejoint ce que Berkowitz appelle la "logique du canot de sauvetage" où on refuse légitimement de faire monter sur une embarcation surchargée des personnes supplémentaires si cet acte est susceptible de faire sombrer l?embarcation et d?augmenter les pertes en vies humaines. Dans le cas des grossesses multiples, ceci se traduit par le sacrifice de f?tus normaux pour augmenter les chances de survie et diminuer les risques de morbidité pour les survivants.
Malgré le rappel réitéré et renforcé d?une prévention médicale vigilante de ce type de complications, il restera toujours des accidents thérapeutiques qui ne sont pas tous évitables. C?est ce qu?on pourrait appeler l?aléa thérapeutique des traitements de stérilité. La possibilité pour le couple de recourir à une réduction embryonnaire dans ces situations doit être complète et donc l?information et la justification de la proposition thérapeutique font partie des règles de bonne pratique médicale.
Ne pas donner les informations à la patiente, eu égard aux risques nombreux encourus par la mère et par les enfants dans ce cadre des grossesses hyper-multiples, peut être considéré comme un manquement à l?obligation de moyen avec perte de chance en cas de complication due à la grossesse multiple.
2) L?argument qui légitime la réduction embryonnaire dans les grossesses gémellaires sur l?existence légale de l?IVG (faites-moi une "IVG partielle") mérite qu?on se questionne sur ce que sont les différences entre IVG et réductions embryonnaires:
- Il ne s?agit pas, dans le cas de la réduction embryonnaire, d?une interruption de grossesse puisque la grossesse se poursuit mais différemment.
- Contrairement à l?IVG où la grossesse n?est pas désirée, ici la grossesse est désirée initialement, mais du fait du nombre de f?tus, la grossesse n?est plus souhaitée "sous cette forme".
La demande ne se situe plus au niveau générique (qualitatif): "je ne peux pas accepter cette grossesse car je ne peux pas avoir d?enfants dans cette circonstance". La demande se situe au niveau quantitatif, ce qui réifie les f?tus. "Alors que je désirais la grossesse, je ne désire plus cette grossesse en l?état car sa nature gémellaire me déplaît".
Ce qui légitime habituellement l?intervention médicale est la découverte d?une pathologie préjudiciable soit à la mère soit aux enfants. La grossesse gémellaire ne rentre qu?exceptionnellement dans ce contexte médical (utérus malformé, mauvaise vascularisation utérine ayant généré des complications au cours d?une grossesse unique, antécédent de rupture utérine, etc.).
En effet, tout couple qui souhaite une grossesse s?expose, qu?il le veuille ou non, à un risque de gémellité de l?ordre de 1%. A la question de savoir si la grossesse gémellaire est une pathologie, la réponse est clairement négative dans plus de 99% des cas.
Bien que certaines familles puissent arguer du fait qu?une technique existe et qu?ils souhaitent en bénéficier pour avoir le nombre d?enfants correspondant à leur projet familial, la question qui est posée est de savoir si cette demande entre dans le cadre de l?activité médicale de soins et de prévention de la maladie ou dans un autre cadre plus cosmétique voire consumériste.
De plus, la démarche de réification de l?embryon dont on veut contrôler le nombre sans raison médicale "justifiante" déplace cette demande hors du champs médical mais aussi hors du champs de ce que les médecins peuvent accepter de faire, si tant est que leurs actes définissent, comme un vaste négatif de photographie, ce qu?est l?être humain.
Il est donc légitime de proposer, qu?en dehors d?une raison médicale indiscutable, ce type de geste ne soit pas réalisé dans les grossesses gémellaires. On ne peut pas comparer la détresse d?une femme qui ne souhaite pas une grossesse, et qui demande une IVG, quelle qu?en soit la raison, souvent inavouée d?ailleurs, et celle d?une femme qui est gênée par la nature gémellaire de la grossesse qu?elle a souhaitée.
La réduction embryonnaire dans une grossesse gémellaire est très proche, sur le plan des principes, de l?interruption médicale de grossesse. Car en fait, il s?agit bien d?une interruption médicale de grossesse qui, comme elle, ne peut se faire sans le consentement de la patiente, mais qui nécessite de plus l?accord du corps médical. Une évaluation soigneuse du risque médical de la grossesse gémellaire et du risque de perte totale de la grossesse doit alors être effectuée selon les règles habituelles de l?analyse des risques en médecine.
Il serait donc logique d?utiliser les mêmes structures décisionnelles d?expertise pour ces demandes de réduction embryonnaire et les centres pluridisciplinaires, institués pour encadrer la décision d?interruption médicale de grossesse, devraient être sollicités pour donner un avis sur ces demandes d?interruption partielle de grossesse gémellaire pour raison médicale.
Hors de l?indication médicale proprement dite, la réduction embryonnaire dans une grossesse gémellaire ne trouve aucune justification.
3) Les grossesses triples posent les problèmes éthiques les plus complexes. En effet, les effets sur la prématurité sont insuffisants pour démontrer un réel gain en terme de morbidité à distance. Bien que l?âge gestationnel à la naissance soit plus bas dans les grossesses triples, les différences sont trop faibles pour apparaître comme déterminantes. Le taux d?avortements spontanés avant 24 semaines doit également être pris en compte. En effectuant une balance des avantages et des inconvénients portant uniquement sur le nombre d?enfants en bonne santé selon que l?on réduit ou non la grossesse triple, on ne peut que rester indécis.
Seules les considérations familiales et sociales font apparaître des différences nettes entre grossesses gémellaires et grossesses triples et celles-ci ne peuvent pas être appréciées par le médecin.
En l?absence de réponse nette de la part du corps médical, il semble logique que la décision ne soit pas imposée, mais qu?une information aussi neutre que possible permette au couple de prendre sa décision avec un maximum d?autonomie.
Les principaux éléments de jugement sont les suivants:
- le risque de prématurité et le déroulement habituel d?une grossesse triple
- le risque d?avortement avant 24 semaines selon qu?une réduction est effectuée ou non
- le projet familial concernant l?ampleur souhaitée de la famille
- les problèmes matériels, psychologiques et conjugaux qui peuvent apparaître.
La réduction d?une grossesse triple, si elle est souhaitée par le couple, doit se faire vers une grossesse gémellaire et pas vers une grossesse unique et ce pour 2 raisons:
- les arguments éthiques développés plus haut concernant la réduction des grossesses gémellaires s?appliquent ici totalement
- la possibilité qu?après une réduction de 3 à 2, l?un des jumeaux décède quel que soit le stade de la grossesse (sans qu?il soit possible de dire s?il s?agit d?une évolution naturelle ou d?une complication de la réduction) suffit habituellement à convaincre le couple de la nécessité d?un geste réduit à l?invasivité minimale pour avoir plus de chance d?avoir au moins un enfant vivant en fin de grossesse et diminuer ainsi le risque d?avortement complet.
ConclusionLa réduction embryonnaire est un geste lourd de conséquences médicales, psychologiques et éthiques.
Les appels réitérés pour une prévention efficace des grossesses multiples pour l?ensemble des médecins qui manipulent les thérapeutiques de la stérilité ne feront pas disparaître cet aléa thérapeutique et il est donc impossible de remplacer la réflexion éthique sur ce geste par une moralisation fut-elle coercitive de l?induction d?ovulation.
Chaque médecin devrait cependant être tenu de rendre compte annuellement de l?usage qu?il a fait des gonadotrophines qu?il a prescrites et des résultats qu?il a obtenus (à l?instar des centres d?AMP). Ceci l?amènerait parfois à différer certains traitements chez des femmes fécondes mais pressées (en évitant cette "accélération du faire" qui est parfois demandée par les patientes) mais aussi à être plus prudent dans les posologies. On éviterait ainsi le "s?il y en a trop on réduira" qui place la réduction embryonnaire en position de thérapeutique complémentaire habituelle, comme une espèce de tribut à payer à l?efficacité et la rapidité dans l?obtention du résultat escompté.
L?inscription des réductions embryonnaires dans le cadre des IMG (avec obligation de passer par un centre pluridisciplinaire avant de réaliser le geste) compléterait habilement ce dispositif en remplaçant une coercition d?amont par une évaluation d?aval. Faire ressortir au grand jour le pourcentage de cas où on a eu besoin d?une réduction embryonnaire serait sûrement la stratégie la plus efficace pour obtenir que cette technique ne passe pas au rang des thérapeutiques ordinaires.
Mais lorsqu?une grossesse multiple survient tout de même, quelle qu?en soit la cause, la démarche médicale diffère radicalement selon qu?il s?agit d?une grossesse gémellaire, triple ou de rang supérieur. Si la réduction embryonnaire n?a aucune justification éthique dans le cadre des grossesses gémellaires (hormis les rares indications médicales où une grossesse simple est tolérable alors qu?une grossesse double ne l?est pas), elle doit en revanche être proposée aux grossesses quadruples (et plus) car le risque d?avoir un handicap majeur chez au moins un des enfants est considérable.
Les grossesses triples constituent le "passage à la limite" où tout est affaire de cas particulier. Aucune règle pré-établie n?est ici valable. L?information qui confère au couple la plus grande autonomie décisionnelle constitue le meilleur guide dans un domaine médical où les résultats ne fournissent aucune conclusion définitive. Il serait souhaitable, ici plus qu?ailleurs, que les options philosophiques personnelles des médecins passent au second plan, pour que le couple, déjà fortement éprouvé par la iatrogénèse ambiante puisse avoir une réelle autonomie de responsabilité et ne soit pas comme des marionnettes, discrètement mues par les fils invisibles du désir médical....
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