Je regarde une photo, cette photo, la seule où nos deux visages apparaissent ensemble. Cette photo a été prise il y a 6 mois maintenant, que le temps passe vite diront les gens, moi j’ai l’impression que chaque seconde se rallonge à l’infini afin de faire durer la douleur ancrée en moi. Des fois je me demande comment faire pour y arriver sans toi, comment arriver à vivre ? Alors je regarde cette photo.
Nos regards se croisent, puis s’attachent. Tu es né depuis quelques jours seulement, petit cœur d’à peine 1 kilo, et je sais que tu ne verras plus jamais le soleil se lever. « C’est irrémédiable », cette phrase prononcée par un docteur la veille me hante. Je sais que ce moment que nous passons ensemble est le dernier, tes poumons s’affaiblissent chaque minute, ton cerveau ne peut pas vivre… et il te condamne. Je t’avoue que j’ai du mal à le croire, après tout tu étais déjà condamné dans mon ventre, personne ne pensait que toi et tes frères verraient le jour, mais vous êtes la tous les trois. Bon sang je voudrais encore un miracle, je n’ai pas envie de te dire au revoir. Et pourtant il le faut, ton infirmière me l’a dit : « Ce n’est plus une question de jours, c’est une question d’heures ». Comment fait-on pour dire au revoir à son enfant qui est en train de mourir ?
Le miracle que j’ai demandé eut soudain lieu. Petit bonhomme, tu n’as que cinq jours, et c’est toi qui va apprendre la vie à ta maman. Ton regard s’accroche en moi et quelque chose se passe entre nous, quelque chose que seul mon cœur pourrait expliquer s’il savait parler. Tu communiques avec moi, pas avec des mots certes, plutôt avec des émotions que tu envoies dans mon cœur, je les ressens comme si tu me parlais clairement. Je vois dans tes yeux que tu me dis de ne pas m’inquiéter, que tu m’aimes, que je dois m’accrocher pour tes frères, pour ta sœur, pour ton père… à ce moment-la je ne le sais pas encore, mais tu es en train de me donner tout ce dont j’aurais besoin dans les mois à venir pour avancer. Et surtout, tu me montres comment faire pour transformer ce moment de déchirure en souvenir magique. Alors que je me sentais démunie face à cette terrible nouvelle, face à ce poignard qui s’enfonce tout doucement dans mon cœur, face à toi, les mots me viennent tout naturellement, grâce à toi. Je te dis alors que je t’aime de tout mon être, que dès que j’ai su que tu étais dans mon ventre je t’ai aimé et ma vie a été transformée. Je te dis que tu resteras à tout jamais dans nos cœurs, que je raconterai ton histoire à tes frères et à ta sœur, que je leur dirai quel petit garçon merveilleux tu es. Je leur raconterai comment tu as réussi à survivre dans mon ventre avec tes frères, et je leur raconterai ce moment que nous sommes en train de vivre alors que médicalement tu n’en es pas capable… comme quoi les médecins peuvent se tromper. Et je te dis aussi une phrase qui a été atrocement douloureuse pour moi, mais indispensable, je te dis que je ne t’en veux pas, que tu peux partir en paix car tu n’y es pour rien, tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir, et même plus, mon petit cœur je t’autorise à partir, je ne veux plus te voir souffrir, envole toi mon ange…
Nous sommes restés une heure comme ça, je souriais devant tes si beaux yeux, j’ai ancré en ma mémoire la sensation de ta peau si fine sous mes doigts, de ton cœur que je sentais battre, de ta respiration, de ton corps qui tenait dans ma main, de la chaleur qui émanait de toi quand je t’embrassais. Le lendemain quand je t’ai embrassé tes yeux étaient fermés, ton cœur ne battait plus, ta respiration avait cessé, ta peau était froide, mais tu sais quoi ? Je pourrai jurer avoir vu un sourire sur tes lèvres. Je t’ai vu paisible, tu ne souffrais plus.
Tu m’as offert l’un des meilleurs moments de ma vie. C’est encore très douloureux de me rappeler de tout ca, les larmes coulent sur mes joues sans que je puisse les arrêter, mais au milieu de ce vide immense en moi, il y a une lumière qui m’aide à avancer, cette lumière c’est le souvenir de ce moment unique, de ce cadeau que tu m’as offert avant ton départ et qui rejaillit chaque fois que je regarde une photo, cette photo. Je ne te remercierai jamais assez pour ca mon amour. Nous sommes tous très fiers de toi, tu nous manques terriblement, notre amour pour toi est éternel, rien ne peut se mettre devant lui, même pas la mort.